Une nouvelle fois, une soirée bien trop alcoolisée finissant au poste de police. Habituellement, j’arrive à bien négocier avec l’agent de police mais cette fois, j’ai dépassé les bornes. J’ai envoyé le mec à l’hôpital, finissant inconscient pendant plusieurs secondes avec le nez pété. J’espère que ce sale type ne portera pas plainte contre moi. Il ne manquerait plus que ça. Je n’ai pas l’argent pour payer la caution en plus. Me voici donc derrière les barreaux avec comme seul moyen de sortie, un coup de téléphone. Je ne connais pas les numéros de mes proches. Je n’arrive pas à mémoriser celui de mon meilleur pote ni même celui de Lucia. Connaissant cette dernière, elle me tirerait les oreilles aussitôt sorti du poste de police. Les seuls numéros que je connais par cœur sont celui de Serena… qui ne me sert plus à rien, mais aussi celui de ma sœur jumelle avec qui je suis en dispute et qu’il est hors de question que je fasse un pas vers elle et enfin celui de Chiara. Pourquoi celui de Chiara et pas celui de Lucia ? Le numéro est bien plus facile à mémoriser. Bullshit.
Même si je n’ai pas voulu faire appel à Chiara, c’est la seule des trois numéros que je connais qui pourra me sortir de là. J’espère juste qu’elle arrive seule, sans son larbin d’Erwin. Il ne manquerait plus que ça pour que ma soirée soit vraiment la pire que je passe depuis des années. Néanmoins, ça ne m’étonnerait pas qu’elle soit avec lui. Ces deux là sont toujours fourrés l’un avec l’autre. Quoique je dise, elle ne m’écoute pas à son sujet. Et lui, pour voir que c’était un ami, il a sauté sur l’occasion pour se jeter sur elle. J’aurais mieux fait de me gratter le jour où je les avais présentés l’un à l’autre.
« Allô ? Chiara ? C’est Ezio. Je suis au poste de police, peux-tu venir me chercher ? » A peine m’a-t-elle répondu que je raccroche. Pas un s’il te plait, pas un merci. Pas le temps pour les formalités et pas envie aussi. Je ne fais pas le fier à être coincé derrière ces barreaux, à dépendre de quelqu’un pour sortir de ce trou pourri. J’ai honte, honte d’avoir trop bu et d’avoir déconné. Encore une fois. Je suis bon qu’à ça de toute façon. Faire des erreurs et décevoir mes proches. Pourquoi faire des efforts ? Mon sort est entre les mains de Chiara. Elle seule est la maitresse de mon temps perdu derrière ces barreaux en compagnie d’un vieux poivrot qui décuve de sa cuite. Ah ça, pour décuver, j’ai eu le temps d’ailleurs. L’ascenseur émotionnel a fait dégringoler les effets de mon taux d’alcoolémie en peu de temps.

Je patiente dans cette cellule. Je tourne en rond tel un lion en cage. Le temps semble si long. Je m’ennuie. Je ne sais pas quoi faire. Comment des prisonniers peuvent-ils s’occuper ? Ce n’est pas la première fois que je me retrouve en cellule. A chaque fois, je me dis que c’est la dernière fois mais il y a toujours une raison pour laquelle je me finis là-dedans. Ce n’est pas de ma faute, c’est celle des autres. Toujours.
J’entends des pas se rapprocher et très vite, je vois le policier ouvrir la porte avec son trousseau de clés. Eaton ! Tu sors ! Il ne faut pas me le dire deux fois. Je me précipite à l’extérieur comme si la peste se trouvait dans la cellule. Je suis le policier jusqu’à l’accueil. Je vois Chiara dans la pièce et aussitôt mon visage se radoucit. Elle est comme le soleil qui vient illuminer ma journée. Evidemment, je ne lui dirais pas une telle chose. Mais qu’est-ce que je le pensais ! Elle est toujours là pour me sauver, pour apporter de la joie dans ma vie – et quelques complications par moment – elle est comme un ange gardien dans cette vie remplie de nuages noirs. Elle me procure ce même effet qu’avait Serena sur moi. Et ça me fait peur. C’est peut-être pour ça aussi que je la repousse. Elle me rappelle bien trop sa sœur. Je ne veux pas souffrir une autre fois à cause d’une Coleman. Hors de question. Je préfère encore finir seul.
Pour le moment, je me laisse aller et je la serre fort dans mes bras. Oui ça va. Lui dis-je dans un souffle. La réalité nous rattrape très vite. Elle s’écarte tandis que je rejoins le bureau pour signer des papiers et récupérer mes affaires. Plus vite c’est signé, plus vite, on sort. En moins de temps qu’il en faut, nous voici dans la voiture de Chiara qui s’empresse de me donner une tape derrière la tête et de me sermonner. Rho ça va, il est pas en sucre ! C’est pas de ma faute si les gens sont cons. Je ne sais dire d’où la dispute est partie. Il y a toujours une raison pour déclencher une bagarre et s’il n’y en a pas, je la provoque quand même. Cela me fait sentir vivant. La douleur me rappelle que moi, je suis vivant. Et elle, elle est morte.
Chiara semble dépiter. Pour elle, tout ça va mal finir. Je regarde par la fenêtre sans vraiment apercevoir le paysage qui m’entoure. Mais non, je sais me défendre, n’ai pas peur pour moi. C’est plutôt pour les autres qu’il faut s’inquiéter. Un court silence s’immisce dans la voiture. Je connais que ton numéro. Sinon j’aurais appelé quelqu’un d’autre. C’est comme si je ressentais le besoin de me justifier de l’avoir appelée. Si ça l’a vraiment dérangée, elle ne serait pas venue après tout. Pourtant, il faut qu’elle sache que je n’ai pas eu le choix de l’appeler elle. Et en quelque sorte, je viens de lui avouer qu’elle est importante pour moi puisque je ne connais pas le numéro de n’importe qui par cœur.

Heureusement que je peux compter sur Chiara. Je tente de justifier mon acte de l’avoir appelée. Je la sens énervée de me voir en garde à vue et pourtant, elle court pour me sauver. Comme à chaque fois. C’est elle le preux chevalier. Non moi. Je suis conscient de mes actes et de ce que je peux faire autour de moi mais je me voile la face. C’est bien plus simple de distribuer des poings plutôt que distribuer de l’amour. Alors je me construis une carapace et je fais mine de ne rien ressentir. Pourtant, lorsqu’elle m’annonce qu’elle sera toujours là pour moi, qu’elle ne me laissera jamais tomber, cela me donne du baume au cœur et m’emplit de joie que je masque par un mince sourire. Je ne veux pas lui montrer à quel point ça me touche ce qu’elle peut me dire. Encore ma carapace.
La voiture roule à une vitesse constante. Je regarde les paysages défilés sans vraiment les regarder. Chiara décide alors de briser le silence en me parlant d’Erwin. Rien que d’entendre son nom, mon poing se resserre. Le pauvre… Dis je en me moquant de lui. Ça lui fera les pieds d’attendre sa petite amie alors qu’elle est avec moi. Imaginer sa tête démuni me réjouit. Pour une fois que c’est lui qui est planté et non moi. Chiara propose donc de manger quelque chose vu que son ventre crie famine et finalement, le mien aussi. Bonne idée ! Elle a de bonnes idées !
Chiara change de direction et prend la voie pour mener au fast food du coin. Elle s’insère dans le chemin du drive et donne sa commande. Mon tour vient et je donne à la vendeuse en ligne ma liste. Un gros hamburger, des frites, un soda et un autre petit burger. J’ai faim. Mon ventre parle pour moi. Nous avançons et vient le moment de régler. Tiens, ma carte. Je sors le portefeuille que j’ai récupéré au poste de police pour lui tendre ma carte bancaire afin qu’elle règle avec. Je peux au moins faire ça vu qu’elle a annulé son rendez vous avec son cher et tendre.
Les sacs récupérés, la voiture file vers l’endroit surplombant la ville. Nous rejoignons les falaises et autres petites montagnes désertes juste à côté du centre-ville. C’est par ici que je retrouve très souvent mon lynx qui arrive à apaiser mes douleurs. Peut-être que je le verrais au loin. Ou peut-être pas vu que je serais en compagnie de Chiara. En attendant, Chiara gare la voiture non loin des falaises. Je sors de la voiture tout en prenant les sacs du fast food dans les mains. Je me pose à un endroit où on peut admirer la vue sur le paysage de Sedona. Je pourrais passer des heures ici… Je sors notre repas des sacs pour les poser devant chacun de nous. Je croque dans mon burger et le dégomme en moins de deux tellement j’ai faim.

Avec Chiara, nous nous sommes posés sur un point de vue célèbre de Sedona. Nous avons une vue magnifique à 360 degrés sur les falaises et sur la ville de Sedona. C’est très reposant et ressourçant. J’ai bien besoin de ça. Chiara a vu juste. Je croque en silence dans mon hamburger tout en admirant la vue. Au bout d’un moment, la jeune femme rompt cette atmosphère en utilisant une voix sérieuse. Ce moment va prendre une toute autre tournure qui ne va pas me plaire ou du moins, me mettre mal à l’aise. Elle commence à me parler du deuil de Serena mais qu’il faut que je me reprenne en main. Il est vrai que je faisais n’importe quoi. Je bois pas mal d’alcool, je peux me montrer très agressif et violent. Ça dérape très souvent. Cela me fait sentir vivant. Je suis vivant et pas elle. La vie est injuste. Je devrais être à sa place. « Je sais… mais je me sens en vie comme ça. Moi, je suis en vie. Pas elle. » Bizarrement, je réponds d’une façon plutôt calme. Je soupire simplement, lasse de cette situation. Je me sens tellement dans un bon mood que je ne souhaite pas m’énerver. Et au final, la jeune femme s’inquiète pour moi. Elle ne comprend pas pourquoi je me mets dans un tel état. Je ne saurais même pas lui expliquer ce qui se passe dans ma tête. C’est un sacré foutoir là-dedans. « Je ressens quelque chose au moins. » Je crois que plus personne ne peut m’aider. Je suis déjà allé voir un psychologue mais ça ne fonctionne pas. Pas avec moi du moins.
J’engloutis la dernière bouchée de mon hamburger sans quitter l’horizon du regard. Chiara pose alors sa main sur la mienne. Mon regard se porte sur elle. Elle observe le Ciel, la Lune sûrement. Je ne la quitte pas des yeux. Elle est sublime. La lumière du soir égaye son visage. J’ai la chance de l’avoir dans ma vie et je ruine tout avec elle. Je ruine tout avec tout le monde de toute façon. Elle a l’air bien plus heureuse avec Erwin. Elle le mérite. Je me dois de m’effacer, pour elle, pour son bonheur. Elle tente tout de même de me convaincre que la vie vaut la peine d’être vécue. « Tu as sans doute raison. Mais tout ça ne rime à rien quand tu as perdu l’Amour de ta vie. » Je ne retrouve plus ce goût de vivre ma vie à cent à l’heure, comme avant. Un jour, peut être que j’aurais ce déclic.